Mr Brottes, pouvez vous nous expliquer comment nous en sommes arrivés à la situation que l'on connait actuellement ? Pouvait-on l'éviter ?
Les causes du mal remonte en fait à 1996. A l'époque le premier ministre Alain Juppé a validé la directive ouvrant le marché de l'énergie. La France a bien sûr transposé le texte à minima mais c'était une obligation.
La seconde étape c'est le 25/11/2002 date à laquelle le premier ministre Jean Pierre Raffarin, dénonçant l'archaïsme et l'isolement de la gauche, accepte l'ouverture à la concurrence pour les ménages au 01/07/2007
Le gouvernement de Lionel Jospin s'était opposé à cette ouverture à Barcelone. Il a négocié des outils pour limiter la casse, outils que les gouvernements de droite suivants ont sciemment décidé de ne pas utiliser.
- Le premier outil consistait en une demande faite à la Commission européenne de proposer une directive-cadre sur la mise en œuvre des services d'intérêt général, auxquels appartient le domaine de l'énergie, avec des garanties élevées pour les usagers. Le groupe socialiste au Parlement européen a fait une proposition en ce domaine mais la Commission s'est montrée plus que réticente sans que le gouvernement de droite ne l'oblige à respecter son engagement.
- Le second outil est l'engagement pris de réaliser une étude d'impact sur l'ensemble de l'Europe pour mesurer les effets du début de l'ouverture des marchés avant d’aller plus loin.
Aucune de ces conditions n'a été respectée mais le gouvernement de Mr Raffarin a accepté la directive, réunissant donc toutes les conditions pour en arriver à la situation que nous connaissons actuellement. C'est à la droite depuis 1996 que revient la paternité de cet imbroglio.
Faire appliquer les outils dont je viens de parler aurait laissé du temps à la France pour réfléchir à la situation et éviter d'agir dans l'urgence en brûlant les étapes.
Le gouvernement a refusé la mise en place d'une commission d'enquête sur la formation des prix de l'électricité que j'avais proposée avec le groupe socialiste. Il a consulté les syndicats à huit clos pendant que les PDG des entreprises concernées communiquaient au grand jour sur leur projet y compris en remplissant plus de 100 millions de pages de publicité pour leur projet.
Le projet du gouvernement solutionne-t-il tous les problèmes ?
Loin de là ! Je dirai même qu'il en crée de nouveaux.
- En ce qui concerne la protection de Suez d'une prise de contrôle étrangère un député de la majorité a démontré de manière très claire que la nouvelle entité GDF/Suez était tout à fait opéable. Les présidents des deux entreprises déclarent qu'une OPA sur la nouvelle entité et improbable...ce qui ne veut pas dire impossible! Mr Breton nous parle de la minorité de blocage que la France va garder: mais est-ce une minorité dans GDF ou dans le nouveau groupe? On nous dit que des sécurités ont été mises en place à différents niveaux: les fameux golden share pour lesquels Bruxelles a les plus grandes réticences. Mais rien n'empêche que certains actionnaires ne respectent pas les consignes et décident de vendre leurs actions à un groupe étranger qui leur ferait une offre largement supérieure au cours du marché.
- Sur la création d'un grand groupe gazier: sur le marché du gaz ce ne sont pas les 4 % de Suez ajoutés aux 16 % de GDF qui vont changer la donne. Ce n'est rien comparé à un rapprochement Algérie Russie!
- La fusion GDF Suez ça ne sera pas 1+1=2 puisque Bruxelles va imposer à chacun d'abandonner des parts de marché, de céder des activités et les personnels qui vont avec. D'ailleurs l'avenir de ces gens est rendu incertain par le fait que leur situation n’est pas prise en compte par le gouvernement.
- GDF Suez ça sera 1 pour 1 au niveau des actions: cette déclaration crée un grand mécontentement chez les actionnaires de Suez. Les PDG et le gouvernement préfèrent dire: "on privatise et on verra après" sauf que cette question représente plusieurs milliards d'euros!
- GDF/Suez ne règle pas le problème des champs gaziers: un lieu de stockage n'est pas un lieu de production. supprimer cette phrase : L'Algérie ou la Russie possèdent les plus grands champs gaziers, pas la France
- L'argument qui veut que la distribution c'est 50% du prix, que la
fusion des deux groupes fera baisser les coûts de distribution et donc
les prix: c'est faux!
C’est le transport, le stockage et la distribution qui représentent 45%
du prix. Mais 92 % du prix du gaz est indépendant de l'ouverture à la
concurrence. Pour satisfaire les actionnaires et distribuer des
dividendes la seule solution ce sera l'augmentation des prix.
D'ailleurs pour les entreprises ayant opté pour la libéralisation on a
observé une baisse de la compétitivité du fait de l'augmentation des
prix de l'énergie alors que la France bénéficiait d'un coût de
production de l'électricité les plus compétitifs du monde. S'en suivent
des délocalisations pour tenter d'amortir cette augmentation des coûts.
Les bénéfices des grands groupes énergétiques s'envolent alors que les
grandes industries voient les coûts de l'énergie augmenter très
fortement.
- GDF est une entreprise viable qui a réalisé un chiffre d'affaire de 22,4 milliards d'euros preuve que l'Etat peut être "un bon patron" !
- La nouvelle entité GDF/Suez représentera un concurrent impitoyable pour EDF et cette concurrence entrainera des dommages collatéraux.
- Enfin le plus important: la décision du gouvernement va avoir des conséquences désastreuses pour les ménages. La multiplication des offres énergétiques va rendre illisible l'offre globale. Et comme dans les télécommunications on risque d'avoir des abus avec des grands distributeurs qui vous vendront à prix d'or des options dont vous n'avez pas besoin.
- Le gouvernement a expliqué aux entreprises qu'elles pourront revenir à un tarif proche du tarif réglementé, en cours actuellement, qui limite les possibilités de hausse des prix. Mais ce que ne dit pas le gouvernement c'est que ce sont les grands groupes (EDF surtout) qui prendront en charge le manque à gagner. Et cela se répercutera sur les ménages car cela va mécaniquement augmenter le tarif réglementé.
Quelles sont les pistes à développer pour le PS?
- L'Etat doit être soucieux d'une qualité de service, d'un prix d'égal
accès pour tous mais aussi d'une compétitivité favorable à la création
d'emplois industriels dans notre pays. Or nous avons vu que l'ouverture
des marchés énergétiques favorisaient les grands groupes de l'énergie
mais pénalisaient les entreprises.
- Il ne s'agit pas d'un dossier économique et industriel classique qui
autorisait Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac à s'engager à ne pas
privatiser GDF et EDF avant de revenir sur leur décision, quelques mois
plus tard.
- La situation politique a changé en Italie d'où est originaire le groupe ENEL qui a lancé l'idée d'une OPA sur Suez. ENEL est lié à l'Etat et avec la chute de Berlusconi et l'arrivée de Prodi l'Italie se dirige plus aujourd'hui vers un rachat des actifs abandonnés par GDF et Suez lors de leur fusion avec la complicité du 1er ministre.
- Le PS, s'il gagne en 2007, devra entamer des discussions et des
négociations avec les autres pays subissant une forte augmentation des
prix de l'énergie. Des accords devront être trouvés pour pérenniser la
protection des tarifs réglementés et pour réguler ce marché sur
l'ensemble du continent avec une régulation unique se préoccupant aussi
du service rendu aux usagers et pas seulement du bonheur des
investisseurs. Il faudra que les accords englobent toutes les
composantes du problème: la production, le stockage, le transport, la
distribution mais aussi le respect des accords de Kyoto.
Dans cette optique le rapprochement GDF EDF défendu par le PS prend
tout son sens tant sur le plan économique que sur celui de
l'efficacité. Dans le même ordre d'idée un même dispositif doit être
maintenu pour toute l'Europe pour assurer la sécurité
d'approvisionnement du gaz.
Commentaires